La microscopie augmentée au service du diagnostic médical
Publié le 1 mars 2024Télécom SudParis
Marier optique et Intelligence Artificielle pour améliorer le diagnostic des maladies du sang, c'est le défi d'une plateforme développée par l'équipe de Yaneck Gottesman, du laboratoire SAMOVAR de Télécom SudParis. Dans le cadre de ce projet de longue haleine, TAMIS est un partenariat de recherche collaborative entre l'école d'ingénieur, la PME TRIBVN et trois unités de l'AP-HP (Pitié Salpêtrière, Saint Antoine et Avicenne), préparant une nouvelle génération d'applications médicales.
Comment est né le projet ?
"Après une thèse sur les composants photoniques, je suis devenu enseignant chercheur en optique à Télécom SudParis, une école dont la recherche est labellisée Carnot, dans le cadre de l’Institut Carnot Télécom & Société numérique, rappelle Yaneck Gottesman. C'est ainsi que j'ai été amené à participer à un projet de recherche partenariale mené avec Morpho, l'un des leaders de la biométrie.
Pour renforcer la sécurité des systèmes d'identification biométrique, l'un des enjeux était d'éviter les usurpations d'identité utilisant, par exemple, une fausse empreinte placée sur un doigt. Pour y remédier, nous avons développé une technique d’holographie qui permet d'examiner en profondeur le tissu présenté au lecteur et d'en obtenir une représentation 3D numérique, qu'il est possible de manipuler, d’analyser pour en extraire des mesures physiques discriminantes."
"C'est devenu le fil rouge de mes recherches : comment, à partir d’une mesure, produire des données afin d'alimenter des modèles physiques pour mieux comprendre le tissu ou l’objet analysé. Sollicités il y a cinq ans par TRIBVN, sur le sujet du diagnostic médical, nous avons été amenés à adapter l'holographie à la microscopie afin d’analyser les tissus biologiques, en particulier les frottis sanguins."
Le projet TAMIS monté avec TRIBVN et l’AP-HP, fait partie des dix projets lauréats retenus dans le cadre de l'appel à projets du Health Data Hub de la BPI, qui promeut et finance des projets de e-santé s'inscrivant dans une logique de transparence et de partage des données médicales.
Des innovations en imagerie et des données à exploiter
Plenimage est une plateforme de Télécom SudParis qui bénéficie doublement de la technologie évoquée précédemment, avec des données quantitatives et multimodales ; en effet, deux modalités morphologiques, le coefficient d’absorption du tissu et le parcours optique, combinaison entre l'épaisseur locale et l'indice optique, sont acquises en même temps. En biologie, les cellules au microscope sont représentées par une information dans les trois dimensions avec le couple de données intensité/phase.
De plus, grâce à la microscopie à ouverture synthétique, nous obtenons une mesure à résolution étendue. La microscopie à ouverture synthétique ou SAM (Synthetic Aperture Microscopy) est l’équivalent de ce qui se fait en imagerie astronomique, notamment sur le Very Large Telescope (VLT). L'ouverture synthétique consiste à rassembler l’information de différents télescopes pour atteindre un diamètre apparent équivalent à la distance la plus grande qui sépare les télescopes. Cela permet de voir plus de détails, autrement dit d’augmenter la résolution de la mesure, qui est normalement limitée par le diamètre du télescope. En microscopie, des techniques analogues permettent de dépasser, grâce au calcul, les résolutions limites théoriques.
Le principe consiste à soumettre un échantillon à différentes conditions d'excitation optique, et à recueillir le résultat de l’interaction entre la lumière et l’objet. Ces différentes informations sont combinées par le calcul pour en déduire les résultats que donnerait un microscope d'ouverture numérique beaucoup plus grande. On gagne une représentation complète du volume cellulaire et une résolution significativement améliorée à la fois dans la composante phase et dans la composante intensité, restituant un phénotype morphologique beaucoup plus différentiant que ne le permet l’optique classique.
Les applications médicales
Dans le cas du paludisme, les cellules infectées sont peu nombreuses aux stades précoces et il est important de les repérer et de les caractériser. Les mesures collectées à partir de deux modalités corrélées sur la même cellule (l’absorption locale et le parcours optique local), permettent de distinguer beaucoup plus aisément les hématies parasitées des hématies saines et de minimiser ainsi le taux de faux positifs ou de faux négatifs.
La haute résolution devrait permettre le diagnostic complet du paludisme à partir d’un simple frottis sanguin, là où les techniques actuelles mobilisent à la fois plusieurs techniques de préparation et des personnels qualifiés, ce qui représente un frein en termes de coût et de scalabilité. L'OMS craint en effet une recrudescence du parasite, dont il faut pouvoir contrôler les réservoirs chez les humains et les moustiques, avec les techniques les plus légères possibles. Les méthodes chimiques posent en effet des difficultés logistiques limitantes (approvisionnement, stockage, conditions d’utilisation, disponibilité de savoir-faire, etc.).
Le projet TAMIS se concentre sur les besoins en cyto-hématologie pour le diagnostic et le suivi des patients leucémiques ou à risque, en proposant une caractérisation performante des lignées cellulaires : leucocytes, hématies et plaquettes sanguines.
Les suites du projet
Sur la base des résultats obtenus, le lancement des expérimentations à l'échelle réelle se prépare.
Il s’agit de faire la démonstration des capacités de cette technologie en comparaison de la méthode de référence. Dans un premier temps, ii s’agira de mesurer la valeur du seuil de détection de la technique en réalisant des expériences de dilution limite, à partir de sang de culture ou de sang de patients parasités. Dans un second temps, les performances de la méthode seront évaluées en condition réelle d’utilisation : le diagnostic automatisé du paludisme à partir d’un simple frottis sanguin mince (FSM) versus la méthode de référence manuelle par un spécialiste en deux étapes, la goutte épaisse (GE) suivie d’un FSM.
Le catalogue d'images en cours de production par TAMIS alimentera le Health Data Hub. Il sera exploitable par la communauté scientifique pour des travaux de recherche visant des approches algorithmiques innovantes de détection et classification de cellules à partir de données de qualité améliorée.
La société TRIBVN est le partenaire industriel de TAMIS. Elle apporte une connaissance approfondie des besoins utilisateurs et un savoir-faire en termes de développement et d'intégration des solutions techniques permettant d'y répondre. Les besoins en imagerie concernent la gestion, le partage, la visualisation et l'analyse des données avec le support de l'IA. Le service rendu est une simplification des tâches diagnostiques. Ces solutions sont actuellement éditées et commercialisées à l'échelle mondiale par sa filiale TRIBVN HealthCare auprès des médecins pathologistes en clinique, en recherche et pour les Organisations de Recherche Clinique (CRO) dans le domaine de la "Digital Pathology".
L’activité de microscopie initialisée conjointement avec Télécom SudParis a vocation être lancée dans le cadre d'une nouvelle structure, TRIBVN-life. Son objet est de développer les applications en cytohématologie et en parasitologie afin de délivrer une génération nouvelle de "réactifs numériques" obtenus grâce à l'exploitation de sondes d'interaction lumière/matière. Ces marqueurs nativement numériques et multimodaux (intensité, phase, multi-z et multi-échelles) alimenteront d'autant plus efficacement les outils de l'Intelligence Artificielle pour une simplification considérable des tâches de diagnostic et de suivi des traitements. Leur "scalabilité" facilitera leur exploitation à très large échelle. Au plan européen, ces marqueurs innovants, développés en Europe, rendront la recherche moins dépendante d'apports extérieurs et limiteront l'usage de la chimie et du transport des spécimens biologiques destinés au diagnostic.
Les perspectives
Plenimage mobilise des innovations en imagerie, dans les domaines de la mesure et du traitement. L'objectif est de faciliter la tâche des experts du diagnostic en faisant du criblage automatique et en dégrossissant l'analyse grâce à l'IA. Pour la production du compte rendu diagnostic, l’expert pourra exploiter un "jumeau optique", version numérique représentant très complètement le tissu sanguin. Cela évitera de revenir au spécimen biologique, simplifiera les tâches diagnostiques et les équipements. Une version sauvegardée pourra ensuite être exploitée en épidémiologie, en santé publique ou en recherche fondamentale. La perspective est d'améliorer la précision du diagnostic pour un meilleur parcours de soin des patients. La scalabilité et la connexion en réseau facilitera à l'avenir une surveillance épidémiologique au niveau mondial en cyto-oncologie et en infectiologie, en particulier pour le paludisme.